Non non non non non non. Ce n’était pas possible. PAS. POSSIBLE. D’habitude, il prenait toutes les précautions imaginables pour être sûr qu’une telle situation n’ait jamais lieu. Pourquoi aujourd’hui, hein, pourquoi il n’avait pas coincé la porte ? Pour le coup, il se détestait, et s’il avait été dans son corps, il en aurait probablement pleuré. Enfin non, parce que s’il avait été dans son corps, il n’aurait pas eu besoin de pleurer. Enfin, laissez-moi expliquer plus clairement, car tout cela semble probablement confus. Notre petit jardinier avait eu une soudaine envie d’aller se promener –sans raison particulière soit dit en passant- mais, pris de flemme, il n’avait pas voulu se bouger. Ainsi avait-il décidé de se transférer dans sa poupée et de se servir d’elle pour aller vadrouiller. Cependant, quelqu’un ( ou quelque chose ? ) avait fermé la porte de la pièce où reposait le corps de Griffin, empêchant donc ce dernier d’y retourner.

Et franchement, c’était la cata.

Etre coincé dans un corps fait de chiffon et haut d’une vingtaine de centimètre, c’était vraiment pas chouette. Pas du tout. Il se laissa glisser contre la porte fermée, se demandant ce qu’il allait devenir, déprimant un peu. Enfin, il se mit debout sur les jambes de la poupée et avança avec une idée bien précise en tête : trouver de l’aide, quelqu’un qui mesurerait plus d’un mètre et qui pourrait atteindre cette foutue poignée. Pour tout vous dire, ce ne serait pas gagné pour notre ami borgne. En effet, il allait devoir zigzaguer entre les pieds pour éviter de se faire marcher dessus, réussir à attirer l’attention de quelqu’un et là, il devrait lui faire comprendre son problème… sauf que sans pouvoir parler, ça risquait d’être compliqué.

Mais pour l’instant, il devait déjà trouver quelqu’un. Les couloirs étaient quasiment vides, ce qui n’était pas plus mal car il y avait ainsi moins de chance que la poupée se fasse malmener. Soudain, il s’arrêta. Il entendait des pas rapides et nombreux. Des gamins qui arrivaient en courant de derrière lui. N’était-ce pas interdit de courir dans les couloirs ? Peu importe, il n’avait pas le temps de réfléchir à cela il et se mit à courir lui aussi, cherchant un endroit d’où il pourrait éviter de se faire transformer en carpette. Un coin, une porte ouverte, sous un meuble qui passerait par là, tout serait bon… Trop tard. Il ne s’était même pas rendu compte que les gamins s’étaient rapprochés, mais d’un coup il se voyait voler dans les airs, projeté par un coup de pied, et il voyait sa « piste d’atterrissage » se rapprocher dangereusement.

La jambe d’une fille. Voilà l’endroit où il avait été projeté. Par réflexe, il s’y accrocha de toutes ses forces, ne s’imaginant pas un instant que cela pouvait être assez surprenant de se retrouver avec une poupée un peu glauque accrochée à la guibolle. Enfin au moins, de cette manière, il était sûr qu’il aurait attiré l’attention de quelqu’un.

Sauvé, il était sauvé ! Il aurait pu tirer la langue aux gamins s'il en avait été capable, mais bon il pouvait pas, alors... Bref. Maintenant, il se sentait en sécurité avec cette inconnue. Enfin, il espérait que c'était pas une tortionnaire de poupée, car là ce serait embêtant. Mais puisqu’elle l’avait posée par terre et qu’elle l’avait graciée d’un sourire et d’une main sur la tête, Griffin devinait qu’elle n’avait pas prévu de malmener la poupée.

La jeune fille lui demanda ensuite ce que la poupée faisait dans les couloirs. Là était sûrement le moment le plus compliqué de la manœuvre, tout expliquer sans dire un seul mot. Il laissa donc planer un silence en réfléchissant à la façon dont il pourrait s’y prendre. Finalement, il se mit à agiter les bras pour tenter de mimer du mieux possible la situation dans laquelle il était… même s’il ne se voyait pas de l’extérieur, il soupçonnait que ça devait être à la fois ridicule et incompréhensible.

Il abandonna alors l’idée de faire des gestes, laissant retomber les bras en chiffon le long du corps de la poupée, regardant le sol comme s’il l’implorait de l’aider à trouver comment communiquer. Son observation du sol sembla porter ses fruits, car il eût un soudain éclair de génie. Il leva les yeux vers la fille et commença à reculer lentement.

Ouaip, il allait faire en sorte qu’elle le suive jusqu’à l’endroit où était retenu prisonnier son corps. Ah, comme il priait pour qu’elle le suive et qu’elle lui vienne en aide, parce qu’il se voyait mal repartir à la recherche de quelqu’un… surtout avec les gamins qui devaient encore traîner dans le coin et qui n’hésiteraient probablement pas à le reprendre en chasse pour le transformer en ballon de foot improvisé.

Le jardinier fit en sorte que ses signes soient bien compréhensibles –il ne voulait pas qu’elle croit qu’il veuille la fuir, ce serait vraiment un malentendu bête pour le coup. Une fois qu’il fût à peu près sûr que le message était passé, il se mit à avancer d’un pas décidé vers sa destination, croisant mentalement les doigts pour qu’elle le suive. Il continua donc d’avancer jusqu’à arriver devant la porte qui le séparait de sa personne… enfin, peut-être. Il eût un gros doute sur le fait quoi ce soit bien cette porte ou non mais, après une longue observation de chacun des détails qui la composait, il en déduisait que c’était bel et bien elle… du moins il espérait, car il n’était pas particulièrement physionomiste avec les portes. Enfin, il se retourna pour voir si la fille l’avait suivi ou s’il allait devoir tout recommencer.

Dieu merci, elle l'avait suivi jusque là et elle avait compris le message. Il s'écarta lorsqu'elle le lui demanda puis se rua dans la pièce dès que la porte fût ouverte, constatant avec bonheur qu'il ne s'était point trompé de porte. Il se retourna vers la fille, qui semblait avoir eu un léger bug. Ah ouais, forcément. Il n'avait pas pensé à ça, sûr que ça devait faire drôle de trouver un corps comme ça, qui donnait l'impression d'être endormi... voire mort. Lorsqu'elle demanda de qui il s'agissait, Griffin se désigna lui-même -donc le corps de la poupée- avant de courir vers son corps et de grimper jusque sur le haut de son crâne.

Immédiatement, le garçon qui donnait l'air d'être en plein coma leva la main pour récupérer la poupée qui avait failli tomber de sa tête. Il se leva en s'étirant, reposant en même temps la poupée bien en équilibre sur sa tête avant de se tourner vers celle qui l'avait aidé, la gratifiant d'un sourire sincère et bienveillant.

« C'est moi. Enfin je veux dire, la poupée, c'était moi, et moi, j'étais la poupée. Enfin bref, merci de ton aide, je ne sais pas où je serais si tu n'avais pas été là. »

Ouais, il se perdait littéralement dans ses explication, ayant levé l'index en même temps qu'il avait parlé, se repassant maintenant ses paroles dans sa tête. Cela avait-il été compréhensible ? Il se le demandait bien. Enfin, il se disait que la si jeune fille avait un minimum de matière grise, elle comprendrait bien à un moment ou a un autre.

D'un pas gai et sautillant, il se dirigea vers un côté de la pièce, cherchant visiblement quelque chose. Il regardait de partout, comme s'il était perdu, baladant son seul œil dans les divers recoins de la pièce.

« Au passage, il paraît que je m'appelle Griffin. Je suis le jardinier du coin... »

On sentait qu'il semblait avoir coupé sa phrase au milieu, et son œil s'était rivé sur un coin particulier de la pièce. Il s'y rua alors rapidement, fouillant parmi un tas d'objet pour finalement sortir, des étoiles dans les yeux, un sécateur qui semblait tout neuf. Il en fit claquer les lames et s'y adressa, un sourire aux lèvres.

« Ah, Bernard ! C'était donc là que tu te cachais! »